(Interview Yonhap) Chorégraphe Angelin Preljocaj : «"Le Lac des cygnes" doit percuter notre actualité»

SEOUL, 16 juin (Yonhap) -- Grande figure de la danse contemporaine, le chorégraphe français Angelin Preljocaj a accordé jeudi soir à l'agence de presse Yonhap une interview téléphonique dans laquelle il nous a fait découvrir sa version «hybride» du plus célèbre des ballets romantiques, «Le Lac des cygnes», une relecture «très mixte, à la fois un clin d'œil à la tradition classique et d'une modernité très déterminée».

Son adaptation chorégraphique du monument du répertoire classique sera présentée par des membres de sa troupe basée en France du 22 au 25 juin au LG Signature Hall du LG Arts Center, dans l'ouest de Séoul, dans le cadre du programme CoMPAS (Contemporary Music & Performing Arts Season). Invité à Montpellier Danse 2023, il ne pourra pas faire le voyage au pays du Matin-Clair cette fois-ci.

Angelin Preljocaj a tout d'abord confié avoir une affinité particulière pour la Corée, où il est venu une demi-douzaine depuis les années 2000 : «C'est un pays que j'apprécie beaucoup. Les Coréens sont un peu les Méridionaux de l'Asie (il est lui-même Méditerranéen). C'est un pays très ludique avec des gens qui sont très généreux dans leurs relations.»

Il a ensuite dit être «vraiment désolé de ne pouvoir être là pour ces dates-là parce que j'ai une nouvelle création (pour le festival de Montpellier). Les nouvelles créations ont toujours un peu la priorité par rapport aux pièces du répertoire, qui sont déjà faites, qui existent, qui n'ont pas besoin de moi en fait». «Les représentations seront magnifiques, les danseurs sont ravis, ils sont passionnés, ils sont très heureux de danser à Séoul. Le spectacle est bien rodé, donc, je ne me fais pas d'inquiétude sur la qualité du rendu», a-t-il assuré.

Danseur classique et contemporain à l'origine, il fonde en 1985 la compagnie Preljocaj, appelée Ballet Preljocaj depuis 1996 suite à son installation à Aix-en-Provence. Il fait son entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra national de Paris en 1994 avec sa toute première création, «Le Parc». Même si son style chorégraphique est ouvertement contemporain, il se base avant tout sur la tradition du ballet classique. Il a chorégraphié une cinquantaine de pièces.

Créé en 2020, «Le Lac des cygnes» de Preljocaj rassemble 26 danseurs. Le spectacle narratif, qui a été présenté dans toute la France, comporte quatre actes et dure environ deux heures. La structure et les personnages sont les mêmes que dans la version légendaire de Marius Petipa (1895), mais le chorégraphe a réactualisé et adapté la trame de son œuvre aux préoccupations du monde d'aujourd'hui.

«C'est une version qui interroge. Déjà, quand on lit le titre, "Le Lac des cygnes", on essaye de connecter ça à notre monde actuel. Tout de suite me vient la question de l'environnement, les problèmes climatiques. En fait, le "lac" déjà est un endroit, un espace qui est très menacé par le réchauffement climatique, pour des raisons d'évaporation mais aussi de pollution», souligne-t-il.

«Et pour ce qui est des "cygnes", c'est un peu la même chose, c'est-à-dire qu'il y a 500 espèces d'oiseaux qui ont disparu au siècle dernier et cela continue. On pourrait se demander si dans une génération ou deux, les enfants sauront même ce qu'est un cygne, s'ils auront l'occasion d'en voir un vrai, ou s'il faudra juste leur montrer des films ou des photographies. Donc, ce sont vraiment des questions très poignantes et prégnantes», alerte le chorégraphe. «Ce "Lac des cygnes" ne doit pas être une histoire ancienne mais doit percuter notre actualité.»

Les costumes des danseurs sont pour la plupart dans des tons neutres, noir et blanc. Les femmes portent un tutu blanc revisité et sont pieds nus. Cette neutralité marque un contraste avec les costumes colorés du troisième acte, à la manière de celui entre l'inspiration classique et l'actualisation moderne du spectacle.

Pour lui, l'essentiel de ses chorégraphies, «c'est l'alternance que je m'inflige entre des œuvres abstraites et des œuvres de recherche, c'est-à-dire mon laboratoire chorégraphique, avec des ballets narratifs, parce que j'aime raconter des histoires». «Ce qui m'intéresse, c'est ce que peut transmettre le corps d'une dramaturgie, d'un conte de fées ou d'une histoire extraordinaire sans qu'on fasse de la pantomime.»

En 2016, sa compagnie a joué «Blanche Neige» en Corée du Sud. Pour cette version strictement narrative du conte, les costumes avaient été conçus par le grand couturier Jean-Paul Gaultier. «La Fresque» du Ballet Preljocaj a fait l'objet d'une tournée dans le pays en 2019 et a été retransmis sur Naver TV en 2020, pendant la pandémie de Covid-19.

Les 20 et 21 juin prochains, le chorégraphe sera à Montpellier pour présenter des reprises de «Noces» (d'après Igor Stravinsky) et «Annonciation», datant de 1989 et 1995, ainsi que sa toute dernière création, «Torpeur» (2023), qui interroge la mémoire de la danse à travers une confrontation avec les pièces historiques et emblématiques de son style.

Concernant ses futurs projets en Corée, Angelin Preljocaj a dévoilé en primeur qu'il se lancerait dans une collaboration avec le Néerlandais Jaap van Zweden, qui prendra en janvier 2024 la direction de l'orchestre philharmonique de Séoul, pour la création d'une pièce avec orchestre live. Il ambitionne par ailleurs de présenter dans le pays son spectacle «Mythologies» qui a été joué pour la première fois au théâtre du Châtelet à Paris en octobre dernier et qui repose sur une musique de Thomas Bangalter (ex-membre de Daft Punk).

Propos recueillis par Xavier Baldeyrou

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